Une réorganisation de la sûreté nucléaire qui interroge
Admin FCE
13 mar 2023 – 04:05
Le gouvernement a décidé de réorganiser la sûreté nucléaire, en démantelant l’IRSN, la police scientifique du secteur, une réforme inattendue et controversée, au moment où il souhaite relancer l’atome.
Le projet, proposé par amendement au projet de loi sur l’accélération du nucléaire, est examiné par les députés à partir de lundi.
Objectif : “fluidifier” les décisions
La décision a été prise lors d’un Conseil de politique nucléaire réuni le 3 février par Emmanuel Macron, qui porte un programme de six voire 14 réacteurs. Le 8 février, le ministère de la Transition énergétique annonçait donc la disparition de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), et le transfert de ses experts notamment à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), gendarme des centrales.
Objectif: “fluidifier les processus d’examen et prise de décision de l’ASN pour répondre au volume croissant d’activités lié à la relance de la filière”. “Ce n’est pas une critique du travail de l’IRSN”, “ni un objectif budgétaire”, précisait le ministère.
Cette réforme, dont les modalités restent à définir, suscite depuis des préoccupations venues d’horizons politiques divers.
Au cœur des interrogations: le sort de l’indépendance, de la transparence et de la qualité de l’expertise.
Craintes pour l’expertise
Ce sont les leçons de l’accident nucléaire de Tchernobyl survenu en 1986 en Ukraine, et un déficit de transparence constaté en France sur le sujet, qui ont abouti au début des années 2000 à la création du système dual ASN/IRSN, la recherche s’émancipant en outre du Commissariat à l’énergie atomique.
A l’IRSN et ses 1.800 ingénieurs, médecins, géologues…, l’expertise et la recherche sur la sûreté. A l’ASN et ses 500 agents, la décision, nourrie des expertises de l’IRSN (par exemple quand un défaut est constaté sur une centrale ou qu’un site doit être autorisé).
Avec la fusion des deux, les experts de l’IRSN craignent que leur travail ne soit plus guidé par le seul critère de la sûreté, mais aussi par les préoccupations des exploitants.
A l’IRSN et à l’ASN, les personnels alertent contre une réorganisation source de déstabilisation, coûteuse en temps et énergie alors que de colossaux dossiers sont déjà à l’instruction (conception des futurs réacteurs, prolongation des anciens…).
Craignant un “meccano administratif”, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques (Opecst) a émis des réserves, déplorant l’absence de “diagnostic préalable” et demandant des garanties.
L’historien du nucléaire Michael Mangeon avait devant l’Opecst appelé à la prudence: “à ce stade, j’aurai du mal à dire si la sûreté se retrouve renforcée ou non avec ce projet de réforme”, mais “démarrer un programme nucléaire sur un système en mutation, pas encore stabilisé, présente un risque en matière de sûreté”.
Demain, quelle transparence ?
Autre sujet, la capacité d’expression de l’IRSN.
Bernard Accoyer, ex-président de l’Assemblée nationale, à la tête de l’association Patrimoine nucléaire et climat, accuse l’IRSN de “dévoiement” de son rôle quand il rend “publiques certaines de ses analyses répondant à des saisines de l’ASN”.
Pour lui, l’ASN doit disposer de la confidentialité des données jusqu’au rendu de sa décision.
Pour François Jeffroy, délégué CFDT à l’IRSN, “les avis de l’IRSN gênent. Si l’IRSN est dans l’ASN il n’y aura plus de publicité, et les problèmes seront réglés”.
La publication des avis de l’IRSN est en effet prévue par une loi de 2015. Or, l’ASN peut déjà lui demander d’y surseoir selon les cas, en vertu d’un accord-cadre entre les deux entités.
La présidence de l’ASN, favorable à cette fusion, cite pour sa part sa volonté de meilleure efficacité, et assure que l’expertise restera autonome.
Et maintenant…
Si l’amendement est voté, les directions de l’ASN et de l’IRSN devront installer des groupes de travail, aux conclusions attendues en juin.
Alors que les personnels de l’IRSN sont lundi de nouveau en grève, le ministère veut rassurer sur l’attractivité de leur métier, y compris les rémunérations.
Du côté du Parlement, les sénateurs ont dit leur colère de ne pas être consultés, puisqu’ils ont voté le projet de loi sur l’accélération du nucléaire en janvier, sans amendement.
À l’Assemblée, celui-ci a d’ores et déjà été adopté en commission. Olivier Marleix (LR) y a introduit un ajout, demandant dans les six mois suivant la promulgation d’un rapport sur “les éventuels impacts” de la réforme.